lundi 19 décembre 2011

Bienvenue à nos nouveaux lecteurs

Après une petite phase aphasique (au ton atone, pour compléter le pléonasme), nous voici de retour avec une bonne nouvelle : grâce au renfort d'observateurs vigilants, notre lectorat s'est sensiblement élargi et le suivi de ce site, pour modeste qu'il soit, s'est fait sillage plus profond.

Qu'il nous soit permis, ici, de remercier ceux qui ont eu la patience de nous aider depuis le début et ceux qui ont eu la prudence de nous rejoindre plus récemment. Aux uns comme aux autres, nous voulons redire combien ce site se comprend comme participatif d'une action cognitive apolitique sur le fait politique.

Dans ce cadre, toute contribution, pour peu qu'elle respecte cette charte d'apolitisme des a priori et de non engagement partisan des opinions sera la bienvenue.

Que chacun soit assuré d'avoir ici sa place, s'il vient sans arme idéologique.

La rédaction. 

dimanche 20 novembre 2011

Top ten

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Un double triptyque en noir et blanc, avec un arbre qui s'effeuille au rythme des saisons humaine.

C'est un peu flou. Et très net en même temps. On dirait un estampe japonaise. Ou une lanterne magique du temps jadis. C'est sombre et lumineux. C'est une ombre et c'est un trait. C'est immobile et c'est la vie.

C'est simple et sans apprêt. C'est court et sans après. Peut-être trop simple, au fait. Sans doute trop court, au juste.

Surprise : c'est juste l'une des dix images les plus tweetées cette semaine. C'est une leçon sur l'étrangeté de ces liens sociaux ou informatiques que l'on pense dédiés à l'immédiat. Et qui, quelquefois, s'attardent sur l'éternel. 

samedi 19 novembre 2011

Paris brûle-t-il (les planches ) ?




Ils reviennent sur scène et c’est justice, pour l’une des pièces qui a conclut en beauté la saison théâtrale du printemps dernier. Le match reprend entre deux poids lourds de l’Histoire et du monde du spectacle : l’ultime Gouverneur nazi de Paris, Dietrich Von Choltitz, et le discret Consul de Suède, Raoul Nordling. On comprendra : le colossal Niels Arestrup et le caressant André Dussolier.

Un match dont l’issue est connue d’emblée (Paris ne sera pas dynamitée, malgré les ordres de Berlin) mais dont le suspense est tenu jusqu’au bout (le Gouverneur, tout occupé à régler les plans de destruction, n’étant pas du genre à désobéir sans hésitation). Un match qui n’a rien d’un courtois échange de balles sur terre battue d’avance. Un match qui ressemble davantage à une mêlée de rugby en équipe réduite.

diplomatie - theatre de la madeleineOn saluera au passage l’exploit scénographique qui, avec seulement trois seconds rôles (solidement tenus par Roman Kané, Olivier Sabin et Marc Voisin), réussit à recréer l’illusion d’une place militaire en pleine activité. L’aide de camp Brensdorf, le Caporal Mayer et le Capitaine Ebernach se démènent avec l’énergie du désespoir pour entretenir autour de leur Général l’illusion d’un pouvoir encore intact. Un Von Choltitz pourtant lucide, qui se demande en soupirant si Raoul Nordling est l’émissaire de son ennemi, le notaire de sa défaite ou l’apparition de sa conscience.

C’est la loi du genre qui l’exige, lorsqu’on choisit, comme l’a fait Stephan Meldegg, deux géants du spectacle pour former un duo inédit : chacun arrive avec son bagage de personnages déjà imprimés dans la mémoire du public. Tout le talent est de se servir de ces valises, sans les trainer comme une charge. En l’espèce, l’exercice fonctionne parfaitement et sert le propos de ce duel exceptionnel entre un bourreau au bord du remords et un diplomate à l’aplomb du précipice.

Niels Arestrup est le premier à arriver, impressionnant de toute sa carcasse usée, parrain déchu du Prophète de Jacques Audiard, partenaire réputé trop brutal d’une Myriam Boyer dans Qui a peur de Virginia Woolf ou trop pressant d’une Isabelle Adjani dans Mademoiselle Julie, père excessif de Laurànt Deutsch dans le très récent Tu seras mon fils de Gilles Legrand. Un ogre, lesté de ses excès, dont on se dit d’entrée de jeu que l’anéantissement d’une ville serait assez bien dans ses cordes.

André Dussolier surgit, derrière une porte dérobée de l’hôtel Meurice. Et, dans cette entrée en scène feutrée, ce sont d’autres souvenirs qui se présentent : l’acteur subtil d’Alain Resnais, le partenaire délicat de Sabine Azéma, le père un peu largué de Tanguy, le poète lunaire de Faisons un rêve et le sportif cérébral des Athlètes dans leur tête. Un roseau pensant, léger de ses hésitations, dont on présume que la discrétion pourrait bien être une ruse victorieuse.

Le face à face est saisissant. Plusieurs décennies de mémoires théâtrales s’affrontent. Deux camps se mesurent, se mordent et se domptent. Deux styles se confrontent. Opposés. Irréconciliables. Et pourtant complices, l’espèce de deux heures. Histoire de sauver l’une des plus belles villes du monde. De laisser perler un peu d’émotion dans l’abondante sueur du boucher. Et d’offrir un spectacle inédit : la rencontre entre un monstre sacré et un monstre nacré. 

samedi 5 novembre 2011

Un clerc au pré, ou le clerc des champs



Depuis le lancement de ce blog, nous n’avons cessé de plaider pour la réhabilitation du terme de « clerc », tombé en désuétude avec la multiplication médiatique des intellectuels, dont l’engagement – pour sincère qu’il puisse souvent être – s’assombrit du soupçon égotique d’un narcissisme effervescent. Le clerc, nous ne croyons profondément, porte, dans son titre même, un mélange de modestie et de clarté sans lequel toute lumière prend le risque d’être fumigène urticant.

Depuis le début également –  nous nous permettrons de renvoyer à cet effet à nos divers articles de septembre/octobre 2011 et de n’y point trop revenir pour ne pas lasser le lecteur – nous  tentons également de redonner son actualité à Julien Benda qui, non le premier mais sans doute le l’un des plus convaincus, a su défendre avec noblesse une certaine idée du clerc et dénoncer la trahison de certains de ses pairs, égarés par la politique ou la technique. Qui sont toutes deux une sorte de Foi, laïque mais dévorante.

Redisons le une fois encore : il est dans le rôle du clerc d’être un gardien de phare, un poste fixe, un repère au dessus de la tempête ; pas d’aller braver les flots, au risque de l’égarement, même animé de bonnes intentions, en s’embarquant sur les navires de sauvetage. Benda ne disait pas autre chose en disant : « nous devons être des apôtres, tous le contraire des savants ».

On se demandera, sur ces prémices, s’il existe encore des clercs. Nous avons déjà dit qu’à notre sens, les questions environnementales appelaient de leur essence des prophètes dignes de la tradition des clercs. Ce qui n’est pas dévaluer le combat des écologistes de terrain ou des militants de tout horizon politique (étant rappelé, pour mémoire, que le vert peut parfois se teinter, sur la gamme chromatique des engagements référencés, de rouge vif, de rose pale, de bleu chardon ou même de brun obscur).

Mais, nous le pensons profondément, l’éclairage du débat doit venir de d’une précision cléricale sans faille ni affiliation partisane. Une vocation cléricale qui soit d’inspiration et non de chapelle.

A ce titre, grâce doit être rendu à Serge Orru, après quelques autres, d’avoir cédé un peu de ses spots-lights quotidiens (Directeur Général du WWF France, il n’est pas le moins sous-exposé des acteurs environnementaux …), pour consacrer sans tambour ni trompette un ouvrage  à un homme de l’ombre. A un éclair de lucidité. A un clerc  qui aura poussé le respect de sa vocation jusqu’à rester presque inconnu du grand public.

Pierre Rabhi est cet homme là. Un clerc dont les sermons athées seront un jour catéchisme d’une humanité avide de se survivre, si tant est qu’elle en eu  ait la lucidité en temps utile. 


Un petit fils en ligne directe de Julien Benda, proférant cette maxime qui aurait très bien pu être de ce dernier : « toutes les occasions de nous mettre en cohérence sont bonnes à saisir ». Un descendant spirituel d’un Bossuet ayant fait relire son prêche par Morin : « le temps semble venu d’instaurer une politique de civilisation fondée sur la puissance de la sobriété ».

Pour ce concept seul, cette réconciliation de ces deux notions si violemment contraires aujourd’hui, la puissance et sa sobriété, le geste clérical mériterait à lui seul de graver son nom au  Wall of Fame des prophètes inconnus.

Né Rabbah Rabhi le Saharien, devenu Pierre Rabhi l’Ardéchois. Le déraciné, défenseur de la terre. Connaisseur de la terre. Travailleur de la terre, façon Hugo. Un clerc venu de loin. Un clerc de près. Un clerc des près. Encore un porte-étendard de la proximité,  protesteront certains ? Oui, mais avec une nuance de taille. Que ceux qui comprennent la différence entre vocation et reconversion veuillent bien nous entendre …

Pirerre Rabhi ? Après le pré aux clercs, voici le clerc de prés. Des vrais prés. Pas des campagnes, que celles-ci soient promotionnelles, politiques ou de villégiature. Un clerc des champs. Un chanteur hésitant entre raison et oraison.

Pierre Rabhi Le fertile C’est à lui qu’un ouvrage récent de Serge Orru, au titre littéralement fécond et naturel (« Pierre Rabhi, le fertile »), redonne la voix et met le propos en perspective. 


Pour la voix, au sens très propre du mot, les éditions « Textuel » permettent de réécouter diverses archives sonores. Pour ceux qui auraient un vague regret de ne pas avoir accès aux enregistrements d’Abraham, cela peut en tenir lieu. Pour la mise perspective, ce bref opus (moins d’une centaine de pages) permet d’aller directement au cœur de l’ouvre intellectuelle de Pierre Rabhi, que n’épuise pas la dizaine de titres publiés de sa main depuis 1983.

C’est là le principal mérite de ce livre dédié  - d’une dévote lucidité mais d’une alacrité peu bigote - à un autre: donner à entendre et communiquer l’envie de lire le reste. Résumer sans trahir, évoquer sans simplifier, citer sans tronquer, trancher sans trahir..

En pensera notamment au superbe chapitre intitulé « la soutenable légèreté de l’homme sobre », où le Commandeur Kundera est en réalité convoqué pour un peu plus qu’un jeu de mot.

Il y a urgence à lire ce livre. Comme urgence à (re)découvrir Pierre Rabhi. Sans se bercer d’illusion ; Benda a rêvé de paix européenne dans les années 1930 et n’a été audible qu’après la catastrophe de 1939-1945.

C’est sans doute là, l’enjeu, pour ceux qui veulent redonner corps aux clercs et cœur à leurs ouvrages. Il fait leur permettent d’éclairer nos jours avant que la tombée de la nuit ne les rendent indispensables. Sur ce point, à tout seigneur, tout honneur, le mot de la fin reviendra à Pierre Rabhi lui-même : «Aujourd’hui, il y a pléthore de théories et déficit de réalisations ».

Comment mieux dire que le clerc est bien là et qu’il est temps de regarder le flambeau qu’il lève vers le ciel, depuis cette sulpicienne terre des hommes et cette mer en sourde tempête ? L’heure est venue, pour les laïcs, de jeter à temps un œil vers le phare. 

Il n’est que temps : le faisceau se rapproche, les roches affleurent et les abysses sont aux aguets. 

Eux.

mercredi 2 novembre 2011

Quelques nouvelles de campagne ...


Quelques réflexions en désordre que nous avons reçus à propos des plus récents articles postés sur ce blog et qui appellent réponse.

Le Bonheur est dans le préSur le pré-président (voir notre post  du 17 octobre 2011), on nous fait remarquer que, selon l’expression consacrée « le bonheur est dans le pré », ce qui peut apporter de l’eau au moulin de ce titre – jeu de mots. 

Le moins qu'on puisse dire, est que pour l'instant la France s’est donnée un pré-président des prés (i.e. les champs de Corrèze, fertiles en destins de nature similaire) et pas des villes. A ce titre la géographie des votes en faveur de François Hollande par rapport à ceux allant vers Martine Aubry semble éloquente.

Dans un registre un peu plus grave, et toujours à propos du même post, un commentateur avisé pointe un paradoxe « un Président "normal" ne signifie pas selon moi un président plus accessible ou abordable , mais à au contraire moins accessible que l'actuel locataire: c'est à dire qui reprend de la hauteur présidentielle et qui ne descend pas sur tous les terrains au risque de se disperser et de brouiller son message : donc près des préoccupations des gens normaux peut-être mais suffisamment loin du quotidien pour juger en toute hauteur de vue ».

Au-delà de l’attractivité spontanée de toute réflexion aporétique, force est de constater qu’un problème se pose, sur lequel nous serons amené à revenir : comment être normal dans une fonction qui ne l’est pas ?

 Sur le post « La causerie délira », nous avons reçu de belles envolées portées par des aspirations profondes d'Idéalistes laïcs, notamment parmi ceux qui pensent que l'environnement doit être préservée des querelles de chapelle.

Nous livrons ici la plus nette et la plus combattive de ces contribution : « Je comprends mieux maintenant votre ambition qu'on pourrait nommer "la tentation du clerc" ; car en fait votre propos, ce n'est pas que les clercs trahissent, c'est que les idées qui devraient être défendues par les clercs authentiques sont dévoyées par des ambitieux de bas étage au service de leurs intérêts mesquins ; une sorte de bas clergé ou de sous-clergé ? et que les idées claires sont laissées en friche et dépérissent. Alors aux armes, Citoyen Clerc formez vos bataillons ! »

Ce sera notre conclusion pour ce jour. En n’oubliant pas que, dans l’hymne de Rouget de l’Isle, le courage au combat ne peut se concevoir sans un « amour sacré » pour une cause. Et que ce sacrement sans Dieu est précisément la mission, ou la quête, du clerc contemporain.

mardi 1 novembre 2011

Quai des bulles ? Les bulles s'emballent


Le deuxième festival de bande dessinée de France (en termes de taille et de fréquentation)  vient de s’achever ce dimanche. Depuis une trentaine d’années, il accoste ses planches le long des docks malouins d’où sont partis maints cousins, frère ou rivaux de la Licorne, chère désormais à d’autres supports en trois dimensions (voir la sorte d'étrange "Indiana Dupont" qui sort actuellement sur grand écran).
L édition 2011 du « Quai des Bulles » vient donc de s’achever, le 30 octobre 2011. Avec un palmarès qui n’intéresse pas grand monde, ce qui nous dispensera de le donner. Si le but est dans le chemin, comme disait Heidegger (sorte pour sa part d’amateur de raccourcis autant que d'égarements), à coup sûr l’objectif ici était dans le trait. Et dans le trait seul.

Tracer une voie qui soit propre. S’inscrire dans une tradition dont, soyons francs, Botticelli, de Vinci et le Greco n’auraient pas reniée la filiation d’audaces , la finesse de recherche esthétique ou la discrète technique. Tenter de souffler dans l’air de l’imagination une bulle qui ne ressemble à aucune autre et qui refuse, par elle-même, d’être prise au piège de cette comparaison, voilà quel était le véritable enjeu de cette réunion qui était tout sauf un jeu d’enfants.

Après tout, bien des Festivals se passent de palmarès, par souci de respecter la pluridisciplinarité d’un même art. On n’a jamais vu de Prix de la mise en scène ou de Prix d’interprétation au  Festival d’Avignon. Encore moins dans le grand bazar qu’est son Off. Et c’est sans doute tant mieux, s i l’on en juge à l’engouement que ne cesse, après année, de susciter ce gigantesque combat de talents sans vainqueur.

Pour en revenir à notre Quai malouin, cette digression avignonnaise n’en est que plus opportune. Qu’y avait-il à voir, sur place ? Une sorte de long quai couvert (les bretons savent ce qu’octobre veut dire …) sous lequel de minuscules  maisons d’éditions avaient pris un anneau et d’autres mastodontes réservé un pont privé.

Il en ressortait un mélange joyeusement foutraque, un désordre arrangé, une confusion salutaire entre des genres d’arts graphiques totalement étrangers les uns aux autres, et pourtant familiers entre eux. Un stand d’héroïc fantasy côtoyait des bandes dessinées pour enfants, un dessinateur historique de l’Echo des Savanne de la grande époque était assis aux côtés d’un novice plutôt porté sur les mangas.

Tous étaient différents. Et tous se ressemblaient. Les héros de la bulle étaient enfants de la balle. Et cette balle était un joyeux courant saltimbanque en train de se revendiquer comme art à part entière.

Le blog de Quai des Bulles 2011Car, et c’est là où nous sous souhaitons en venir, il n’y avait guère de doute à regarder  cette  assemblée d’auteurs, de dessinateurs, de petits producteurs et de grands moniteurs. Il n’y avait guère de doute à regarder cette foule où, fidèles aux consignes d’âge d’Hergé, des spécimens humains de 7 à 77 ans déambulaient de conserve.

Des spécimens plus humains peut-être que tant d’autres croisés en ville : leur regard brillait d’une lumière que seul l’art sait faire naître. Cette lumière où l’enfant de 7 ans se sent entrer dans le monde des adultes. Cette lumière où le vieillard de 77 ans se sent capable de retomber en enfance.

Oui, c’est là où nous voulions en venir : à observer ce quai d’où partirent tant d’autres aventures,  il n’y avait plus de doute possible : la bande dessinée est aujourd’hui  un art complet , riche de ses diversités, vivant de ses contradictions, d’une énergie incroyable et d’une intelligence sans cesse en questionnement (la forme parodique, si présente dans l’univers BD n’étant pas la moindre des formes d’auto-interrogation et, si l’on veut bien y croire, un renouvellement spirituel du doute cartésien).

Bien sûr, on pourra nous opposer que nous sommes en trains de découvrir l’eau tiède (ce qui serait paradoxal, vu la température de l’eau dans le coin …) et qu’il y a longtemps que les neuf muses antiques ont trouvées leurs avatars contemporains : architecture, sculpture,  peinture, musique, romans et poésiearts de la scène,  cinéma, arts médiatiques, puis  pour conclure, en neuvième position : bande-dessinée. Et nous le reconnaissons bien volontiers : pour les amateurs de nomenclature, l’affaire est déjà bouclée.

Le déclic - Le déclic, L'intégrale noir & blancMais ce que nous vous dire, ici, est que cette eau supposée tiède est en plein bouillonnement. Qu’on ne peut y tremper l’âme sans se brûler au feu de son magma. Jadis forme très mineure pour gamins en apprentissage de lecture, jadis défouloir pour ados en construction, jadis refouloir pour adultes un peu hypocrites (aaaaaaaaaaaaah Manara !), jadis distraction familiale pour appréhender le monde avec gentillesse, la bande dessinée est devenue tout autre chose.

Un univers en soi, contradictoire, fulgurant, grossier, merveilleux, provocateur, rédempteur, curieux, ouvert, philosophique, brutal, abscons, étrange, lisible, visible, fuligineux, sensible. 

Un art, à part entière. Ce qui suppose qu’il se compose de tant de parts …

L’un des clercs de ce siècle, Pierre Rabhi (sur lequel nous reviendront dans un autre article) faisait remarquer avec humour que notre contemporanéité se composait de boites, qu’il fallait entreposer dans une logique assez désespérante. Tu bosses dans une grosse boite ? Dans une petite boite ? Tu vas en boite, ce soir ? Et pour y aller, tu prends ta caisse ?

On n’y a peut-être pas fait assez attention jusque là, mais la bande dessinée, d’emblée, a brisé cette malédiction. Elle, qui est pourtant littéralement le royaume de la case, n’emploie presque jamais ce mot. Promenez vous dans un festival comme celui auquel est consacré cet article. Vous y entendrez parler d’albums, de planches et surtout (titre oblige …) de bulles.

Comme si, à sa manière, le neuvième art était une manière, maintenant qu’il touche à sa plénitude, à répondre par la légèreté aux enjeux de ses contemporains. Comme s’ils les sortaient de leur boite.  Pour les mettre en bulles …

lundi 17 octobre 2011

Le pré-président

L'histoire bégaie souvent, aime-t-on à dire. Les mots se dédoublent. Les prénoms aussi. Le désormais candidat socialiste pour mai 2012  ne fait pas mystère du plaisir qu'il prend à partager celui du vainqueur de mai 1981. Hollandais peut-être, mais François avant tout, semble-t-il dire à longueur de langueur pronominale ...

A y regarder, littéralement, de plus près, d'autres bégaiements affleurent à fleur de ligne. Des bégaiements pas forcément historiques, mais gaiement béants.

Est-il seulement le candidat d'un camp appelé à figurer au second tour de la prochaine présidentielle ? Lisons mieux ce qui se dessine dans les titres de presse depuis quelques jours. Ce n'est plus un candidat, c'est un gagnant. Ce n'est plus une échéance, c'est un rendez-vous. Ce ne sera plus un vote, mais un sacre annoncé. François Hollande n'est pas encore Président. Mais déjà a-t-il réussi cet exploit sémantico-médiatique : il est devenu le pré-Président.

Lisons encore plus attentivement ce qui s'écrit ici et là (on n'ose encore dire "ici et maintenant", pour les nostalgiques de l'autre François, du pré-François en quelque sorte). Dans la sphère publique, ce pré-Président n'est pas seulement le Président d'après. Il est aussi le Président de près.

le Premier secrétaire du parti socialiste, François Hollande, et le président de l'UMP Nicolas Sarkozy, lors de l'enregistrement du "Grand débat RTL/Le Monde". Après l'hyper-Président, totem de la toute puissance institutionnelle, voici se dessiner le près-Président. Celui que l'on peut aborder. Celui qui est de tous les bords. Un Président normal, annonce-t-il de lui même. Comme s'il s'agissait d'avance de déterminer quelle serait la norme. Pour l'après.

Nous le voici devant les yeux. Au devant de la scène. Au plus près du sommet. Le Président d'après, le Président de près. Le Président qui ne possédera pas le pouvoir, mais l'empruntera à son propre successeur. Un Président de prêt, pourrions nous risquer à pronostiquer ...

Pré-Président, Président de près, Président de prêt, Président d'après, Président sans apprêt ...

Reste à lui souhaiter, au-delà des sourires du babil de ces "pré"-tendances, qu'il soit vraiment prêt. Ce que nous verrons bien. Après,  ...

vendredi 14 octobre 2011

On en causa et la causerie délira




On l’aura compris aux échanges qui se sont déroulés – et qui vont se poursuivre, nous l’espérons – une tentation étrange, un vertige censé, une anti-trahison cléricale habite ce site.
Un désir hurluberluesque de retrouver la robe d’un instituteur athée, de battre les chemins creux d’un pays laïc pour prêcher un évangile qui reste encore à écrire.


Un évangile qui cheminerait entre la correction d’un Testament, la mémoire d’Aristote et la tentative d’un Alliance nouvelle.
On aura compris que nous parlons ici de valeurs strictement humaines, dont les habitants de cette terre ont depuis longtemps fait trésor avant d’en confier la garde notariale au divin.On aura aussi compris que, pour certains, ces valeurs à la fois séculières et intemporelles sont une cause impossible. Voire, pour les plus critique, une pure glose agnostique. Un bavardage improductif. Une causerie délirante (Si on en causa, c'est que cette causerie délira ?)


Quelque chose qui n’est, du reste, pas sans rapport avec l'essence même de l’écologie. Pour peu qu’elle ne s’enferre pas dans un jeu politique. Une écologie qui est un clergé en charge d'enjeux planétaires et fait semblant de jouer aux combats de chapelles.
Quand certains s’interroge sur ce qu’est la trahison d’un clerc, nous lui conseillons d’aller voir un congrès partisan. C’est édifiant.


Nous croyons pour notre part que la notre terre n’est pas seulement le fruit de notre histoire, qu’elle n’est pas uniquement le croisement de cultures qui se sont fécondées, qu’elle n’est pas exclusivement un carrefour de commerces, de trafics ou d’influence.
Or, nous craignons qu’elle ne devienne précisément cela. Qu’elle ne se réduise à cela. Qu’elle ne se restreigne à son présent. Comme un homme qui se tasserait sous le poids des espoirs déçus de son enfance. Comme un enfant malheureux de ses dérives. Comme une éducation ratée. Comme une croissance vaine.
Et, pourquoi ne pas le dire ? Comme un échec moral.
 
C’est là, précisément là, que nous éprouvons la tentation des clercs. Cette idée, un peu folle, d’offrir une réflexion à la fois modeste et consciencieuse.
Une réflexion de clerc. La tête un peu dans les étoiles

lundi 10 octobre 2011

Pan sur le blog, et vivent les blancs becs !



Un lecteur assidu et honnête (autre définition de l’oxymore en politique), nous apporte une intéressante contribution critique, que nous livrons tutoiement compris, ce qui exige – delà de l’effort sémantique –  une  camaraderie intellectuelle dont nous sommes pas nécessairement familier.

Ce lecteur écrit, avec honnêteté et clarté : « sur le fond : je n'ai pas lu Benda ni réfléchi à son message ; mais à chaud, j'émets quelques objections. Si je comprends bien, l'idée c'est que l'intellectuel ne devrait pas s'engager, notamment politiquement, sinon il trahit sa mission et ses idées; mais ce n'est pas une vie ça, la réflexion pure qui inspire sans action pour l'enrichir et la nourrir. »

Suit la définition par ses soins de la vie et d’une forme au demeurant très respectable des valeurs qui la soutiennent :
 « Ce qui vaut dans une vie c'est l'action au service des idées : ce n'est pas parce que certains ont fait des mauvais choix que l'engagement n'est pas indispensable à un moment ou un autre ; a titre d'exemple, pour revenir à notre temps, je trouve remarquable et utile que BHL ait réussi par son engagement initial à chasser Khadafi  ou que Luc Ferry ait essayé de mettre en pratique ses idées comme ministre (quels que soient ses résultats) . N'es- tu pas d'accord d'ailleurs avec sa préférence pour une éthique de responsabilité par rapport à une éthique de conviction ?

Pour moi, ce qui est insupportable, c'est plutôt les intellectuels qui s'érigent en vigie de la Morale et du Bien et distribuent les bons et les mauvais points assis devant leur petit noir aux deux-magots à ceux qui agissent et tentent de faire bouger les choses »

Et il conclut, en un clin d’œil : « J 'ai encore bien du chemin à faire pour a-bender dans le sens de Julien... » Il lui sera beaucoup pardonné pour ce trait d’esprit.

Pour notre part, nous apprécions que ces menus articles posés au hasard de la blogosphère entrainent un vif débat plutôt qu'un plat béat.

Pour le reste, nous devons être sans ambiguïté : nous apprécions l'action d'un BHL en Libye, d’un Max Gallo lorsqu’il fut le porte parole d’un Gouvernement ou d’un Alain  Etchegoyen quand il fut nommé Commissaire au Plan .

Mais ils sont dans un rôle qui n'est pas celui du clerc, justement. A contrario, Kant (qui n'a jamais quitté Könnigsberg) reste une référence morale indispensable (au sens strict : il est difficile de penser sans), plusieurs siècles après sa mort. 

En clair (en clerc ?) nous considérons qu'il ne faut surtout pas opposer les deux manières d'être intellectuel : celle de l'engagement dans le présent et celle du clergé de la pensée. Ce sont deux métiers différents, qui tous les deux sont profondément utiles à la sphère publique. Un peu à la manière où, en automobile, il faut bien des designers et des mécaniciens.

miracle

 Le clerc est une lampe qui peut se passer des Aladin. Mais Aladin serait un pauvre berger, utile à son seul troupeau et non à l’humanité, sans sa rencontre avec un génie immobile et prisonnier volontaire de sa lumière.

dimanche 9 octobre 2011

Fin d’un suspense hitshcockien


Avouons que nous l’avons tous attendu, ce résultat du 9 octobre 2011.


Avec ce qu’il faut de dilettantisme qui est un dandysme de l’anxiété (« oh, quel que soit le résultat, ça ne changera pas le monde », phrase rituelle des bistrotiers médiatiques, qui aiment à philosopher aussi bien les veilles de fin du monde que  les matins de supposé big-bang) Avec ce qu’il faut, également, de légère préoccupation camouflée dans une soudaine passion pour la précision chronologique (siglée d'un « au fait, c’est à quelle heure qu’on sera vraiment sûr ? » digne des meilleures Patek Philip).  

Ils étaient six en compétition. Et celle-ci a nécessité plusieurs visionnages. A des heures différentes, avec des publics différents. Dans ce début d’automne qui ressemblait à un mois de mai (celui de la présidentielle eu Festival de Cannes), le week-end qui allait trancher les sorts se devait d’être douché par le froid pour éprouver sa force de caractère. Ce fut, comme annoncé, glacial. 


Allez voter ressemblait à un sacerdoce. En être acteur supposait une élégance particulière dans le port du coupe vents.  En être organisateur supposait une grande résistance aux courant d’airs, qui ont souvent l’air de courants de pensées.

Ils étaient six en compétition. Avec un grand absent. Comme un Ken Loach qui aurait glissé dans sa salle de bain et n’aurait pourrait pu finir le bouclage du film de sa vie. 


Ils étaient six là où ils auraient pu être davantage. Ou peut-être moins. Allez savoir ce que la présence, en finale, d’un Mike Leight non retenu à Manhattan pour une histoire de sérieux différent avec une figurante, aurait pu éliminer par avance comme concurrence.

Ils étaient six en compétition. Et le jour du verdict serait le 9 octobre 2011. 


Le monde pouvait regarder ailleurs, peu importait. Pour les organisateurs, seul ce résultat comptait, en ce jour. Un an qu’ils le préparaient, ce 9 octobre 2011. Pas question de se le faire voler par une news en forme d’outsider. Dexia est en faillite ? Ca tombe bien, il n’y a plus de Belgique. On est en plein dans les nominations de prix Nobels ? Bof, le jury d’Oslo est bien fichu de désigner un mort, lui.

Alors que ce week-end, en France, on allait enfin connaître l’identité d’un vainqueur. Un vrai. Un vrai revenant de Jurassic Parc qui crèverait l’écran. Un animal plus féroce que les autres. D’ailleurs, c’était bien simple, le nom du favori était déjà connu. Il s’appelait Tyrannosaure est il devait tout écraser sur son passage, malgré son amincissement au montage.

En face, un challenger semblait tout juste émerger des brumes d’une campagne menées dans des pubs anglais, à la fois stricts et hors du temps, méditant une sorte de mélancolie apathique et désabusée sur son propre univers, malgré une armée de jeunes lui offrant leur couleur comme autant de remontants. Un challenger, on l’appelait par son nom de code l’Irlandais. Une histoire qui racontait beaucoup de lassitude et devait incarner l’avenir.

Et puis, en ce 9 octobre 2009, Nathalie Baye est venue annoncer le palmarès, accompagnée notamment d'Emmanuelle Devos. Nathalie Baye ? Nathalie Baye, oui. Emmanuelle Devos aussi. Quelque chose qui ressemblait à une cérémonie bobo, mâtinée d'un paysage de télé-réalité. Une annonce façon Rohmer chez Endemol. 

Comme on s’y attendait, Tyrannosaur de Paddy Considine, avec Peter Mullan et Olivia Colman a remporté la récompense suprême. Il est arrivé en tête. De l'avis de tous, il n'y avait pas de surprise, il était le gagnant prévisible, parmi les six films finalistes.


Mais honnêtement, c’est l’Irlandais, de Mac Donagk, avec Bredan Gleeson, Don Cheadle et Liam Cinningham qui a créé la surprise, en remportant à la fois le prix du public et celui des professionnels de la profession (aussi appelé « Prix de la Règle du Jeu »).

Et il ne serait peut être pas exclu qu’un jour, cette tristesse irlandaise, un peu lassante comme une chanson de Sinnead O’Connor mais aussi douée qu’elle pour trouver des tons inédits, puisse l’emporter dans le cœur du public sur une machine à émotion pourtant réglée depuis la préhistoire de la mise en scène.

Ah, au fait, nous parlions des résultats du Festival du Film Britannique, qui s’est achevé ce week-end en décernant son Hitschcock d’Or. 


Vous pensiez à quoi d’autre ?

mardi 4 octobre 2011

Du gros en politique et de la politique, en gros (ou sous quel régime vit-on ?)



Regardez un peu mieux cette photo. Non, pas plus près : elle saute au visage. Mais mieux. Qui voyez-vous ? Ou plutôt : qu’y voyez-vous ?

Présidentielle américaine: le républicain Christie n'est pas candidat

Si vous êtes un observateur pressé, vous y devinerez un chauffeur de salle, animer une foule probablement assez nationaliste, derrière un logo de la fondation Ronald (l’ancien Président Reagan, pas le clown de Mac Do°) et planté devant deux solides drapeaux américains.
Si vous êtes féru de politique atlantique, vous reconnaîtrez le républicain Chris Christie, Gouverneur du New Jersey, qui a refusé mardi de se lancer dans la course à aux primaires, côté Républicain, pour la prochaine présidentielle américaine.
Cette photo, c’est celle de sa conférence de presse à Trenton (New Jersey) où il a déclaré une phrase qu’aucun homme politique français ne saurait prononcer en conscience, et encore moins en public : "Ce n'est pas le moment pour moi".

Si vous êtes un auditeur de Guy Birenbaum sur une radio nationale (ce qui suppose de se lever tôt, mais rarement pour rien), vous y verrez également autre chose. A savoir : un gros. Un gros derrière un pupitre. Un gros tout court. Un gros vraiment gros. Une bonbonne de cholestérol risquant de détenir un jour le bouton atonique, un risque vivant pour diriger une société qui tête en permanence au sain.
Les propos de Guy Birenbaum, ce matin, dans sa revue du net, intitulée pour l’occasion « la graisse fait débat » était éclairant, et nous avons pu les vérifier depuis : des sites entiers, des pages pleines semblent regorger Outre Atlantique d’avis médicaux sur le bilan cardio-vasculaire d’un candidat pourtant porté par des sondages flatteurs, lequel a finalement préféré jeter l’éponge. On espère que l’éponge en question était gorgée de grasse de sueur et que ses contempteurs sanitaires, s’emparant du trophée, s'en sont salis leurs doigts manucurés. 

En réalité, au-delà de l’anecdote, apparaît l’image d’une époque où l’hygiène est devenue nouveau racisme. Où l’on peut élire un Président noir, mais en super-forme. Où les leaders européens, Cameron et son âge, Sarkozy et son sport, Berlusconi et ses implants, font assauts d’efforts pour respecter la norme hygiénique qui est devenue la formule secrète de l’accès au pouvoir.
Regardez la médiascopie française : des gouvernements de droite qui commencent tous par un casting Elite°, et des concours de beauté aux primaires socialistes en France. Regardez aussi au Sénat, le look épuré d’un Bel bien nommé, vainqueur d’un Larcher relâché.
Ecoutez le bruit de fond des commentaires faussement désinvoltes sur le régime drastique de tel candidat favori. Et les regrets faussement compatissants sur le laisser-aller alimentaire de son prédécesseur en crêtes des sondages.

En réalité, tout ceci est faussement anecdotique. Le régime, avant d’être une discipline de nutritionniste, est un système d’organisation politique. Le régime, c’est le régiment. C’est l’ordre dans les rangs. C’est la taille du crâne qui peut dépasser, pas celle du pantalon. Le "je ne veux voir qu'une seule tête" se comprends aussi : "je ne veux voir qu'un seul corps".
Un régime, c’est d’abord et avant tout une société pensée en uniforme. Au propre comme au figuré. Un régime, c’est une dictature à la fois du semblable et du souhaitable. C’est une recette miracle, dédiée à une beauté normative qui subjugue la sphère privée en envahissant l’espace publique. Le régime est son propre aliment.

Un régime, c’est aussi un artifice politique. Un vêtement flatteur (amateur de couleurs sombres en général). Une manière de rassurer. Des façons de protéger les apparences.
Peut-être serait-il possible, un jour, de regarder ce qu’implique notre servitude volontaire à ces proposition d'enrégimentement du corps, de la mise au pas des marches déviantes et de la captation des regards loin des enjeux - proprement incorporels, libres et inaptes au regard immédiat- qui sont ceux du débat public.

Un petit rappel, pour mémoire. La Chancelière allemande n’est pas jaugé à l’évolution de son embonpoint, qu’elle peur encore mesurer sans risque à celui d'un Helmut Kohl au zénith de son pouvoir. Son Ministres des Finances est le seul en Europe a être physiquement handicapé et à circuler en fauteuil roulant dans les réunion de l’Ecofin.
C’est la première économie du continent. Certains ne doivent pas trouver cela joli-joli à regarder …









vendredi 30 septembre 2011

La dé-bendade



Certains lecteurs assidus et vigilants de ce site nous ont fait, à juste titre, le reproche de citer Julien Benda comme s’il était aussi connu qu’un Johnny Halliday, nous dispensant paresseusement d’un petit rappel historique le concernant.
Alors, bon, rendons-nous à l’évidence « La Trahison des clercs », publiée en 1927 par Gallimard, ce n’est pas « Allumer le feu » en 2007 au Stade de France.
Quoi que …

En réalité, vu avec quelques décennies de distances, la folie d’une mise en scène flamboyante pour rockers sexagénaires n’est pas plus divagante que celle qui avait poussé Benda, dans les années trente, à parler de « clercs » dans un pays tout juste devenu laïc, à engueuler ses pairs au motif de « trahison » éthique et à prétendre que le rôle du « clerc » était, précisément, de rester dans le domaine de l’analyse éthique.




A le lire, tout intellectuel qui s’engagerait (et combien s’y sont fourvoyé, dans ces années là) dans la sphère politique serait un traître, sinon à ses idées, du moins à leurs ambitions. Le clerc éclaire. Le clerc est phare. S’il s’embarque sur un bord, il se perd. Il se trahit.
C’est cela-même, la « trahison des clercs » dont Benda a fait ouvrage. Et dont l’ouvrage a fait ravage. A su allumer le feu, justement. Ce qui fut bien le mode de fonctionnement des phares pendant des siècles.

C’est ce même homme qui eut le courage de rêver d’Europe à l’aube de l’explosion des nationalismes qui lui furent contraires. En ce dernier domaine nous ne pouvons que louer la lucidité provocatrice d’un Julien Benda, dans l’un de ses livres écrit à la veille de la catastrophe national-socialiste.
C’est en 1933 qu’il publie son « Discours à la nation européenne ». Le propos de Benda est, en la matière, douloureusement clair. Conscient des effroyables dangers du nationalisme (parfois abusivement assimilé à l’idée nationale, mais nous y reviendrons dans d’autres articles), il anticipe lucidement le risque que l’Europe bascule dans une gigantesque catastrophe. Six ans avant 1939, cela avait le mérite d’une lucidité que tous les laïcs n’eurent pas.

Couverture

Restait alors, et ce fut objet de son essai, à tenter de préfigurer, dès ce moment de survenance du pire, les moyens d’en surmonter le cataclysme. Julien Benda posa le problème dès les premières pages en écrivant :
« Il paraîtra  plaisant de parler de nation européenne à l'heure où  certains peuples de l'Europe affirment leur volonté de s'accroître aux dépends de leurs voisins avec une précision que l'histoire n'avait jamais vue, où les autres s'attachent, avec une force accrue d'autant, à conserver leur être menacé, où les moins appétant, parce que les mieux repus, n'admettent pas de résigner la plus petite partie de leur souveraineté. »

Tout était dit, dès ces lignes. Des phrases qui furent les prophéties d'une Cassandre des années dites folles..
Mais qui annonçaient aussi la possibilité, au crépuscule de l’histoire, de rêver à une aube non moins folle, qu’on appellerait l’espoir de la raison.

Si être clerc, c’est être un peu fou. Si être fou, c’est jeter un coup d’œil au-delà de la vérité du moment. Si être cela, c’est être clairvoyant, alors affirmons-le : nous essaierons d’être clercs dans ce site.Un site, qui aura précisément cette volonté de ne pas dé-Bender.
Reste encore à s’interroger sur ce jeu de mots aussi leste que facile. Et à se demander pourquoi il y a eu dé-Bendade. Pourquoi le message d’un clerc aussi limpide s’est fait murmure presque inaudible.

En réalité, la perte d’aura populaire d’un Julien Benda (au contraire d’un Ernest Renan sur l’idée nationale, d’un Jean Monnet sur la construction européenne ou d’un Michel Houellebecq sur la conception sulpicienne du nombrilisme) est assez signifiante.
Tel un héros du cinéma muet qui serait un rebut du cinéma parlant (voir à ce propos le prochain film avec Jean Dujardin, the artist, qui a ému fort justement Cannes en mai dernier), Julien Benda est un peu celui qui avait du talent avant tout le monde, mais dont la voix s’est éteinte dans le vacarme d’autres pensées au timbre plus impérieux.

C’est peut-être à ce filet de son muet qu’il faut donner écho, aujourd’hui. Ceci supposera de cheminer entre une description à voix haute des enjeux politiques et une ambition éthique pour leur trouver, comme le dit un bel anglicisme, des lignes de guide.
En écrivant cela, nous mesurons l’ampleur de la tâche, l’illégitimité de quiconque à l’accomplir et la nécessité malgré tout de tenter l’aventure. Dans un univers si riche en religions, si tendu entre systèmes de valeurs, si susceptible sur les symboles, oser parler d’une « morale » serait en soi une sorte de folie.

Nous dirons plutôt que nous tenterons d’être des quêteurs de morale sans moralisme, des guetteurs d’espoirs sans naïveté. 
Et, pour Benda, des héritiers sans nostalgie.

lundi 26 septembre 2011

Pourquoi les clercs par temps de tempête ?


Quitte à être apolitiques, soyons-le sans ambages et libres de toute hypocrisie. Nombre d’accrédités agacent à crédit le plus grand nombre. Leurs grands maux sont des gros mots et leurs petites phrases de mesquines pensées. Le populisme, qu’ils combattent souvent avec plus de raison que de clarté, est un miroir tendu en retour à leur hautaine vulgarité.
Les bobos nous bobardent. Les poseurs nous barbent. Les bardes nous rébarbent. Les clercs, eux, nous éclairent.

C’est un terme étrangement tombé en désuétude, que de « clerc ». Un terme qui, dans ses entrelacs et à bas bruits, sonne juste. Au sens propre, un mot qui sonne clair. Un terme qui rafraîchit.
La bouche de qui le prononce comme la mémoire de qui le reçoit.

CouvertureL’affaire est bien connue. Elle fit date, avant de commencer à dater ceux qui s’en souviendraient. Dans ce que l’usage à ce jour encore consiste à appeler « l’entre deux guerres » (comme si 14-18 devait véritablement être la première et 1945 sonner la fin de toute guerre), Julien Benda avait publié son pamphlet sur La trahison des clercs.
Avec un sens assez sûr de la provocation, moins d’un quart de siècle après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il traçait une autre ligne de partage entre d’un côté les laïcs, responsables du politique et détenteurs légitimes de fonctions temporelles, et de l’autre les clercs, en charge des questions morales et éclaireurs des consciences.

Nous y insistons : il fallait une sacrée dose d’audace pour oser à ce point ré-enchanter la pensée et donner à la réflexion un rôle spirituel, à l’heure où – nous étions à une petite génération de la loi de 1905 – le sabre et le goupillon venaient tout juste d’accepter leur divorce, après plus d’un siècle de procédure à la française.
Le philosophe, substitut de l’homme d’Eglise et libre de tout devoir envers le pouvoir ? C’était assez piquant.

Ce fut du reste la marque de fabrique assez constante de Benda, qui, tant qu’il put rester lucide, offrit plume pointue, histoire de tenir le sabre en respect, et présenta esprit rebelle à ne pas entrer dans les ordres.
Ce fut lui qui, ce faisant, popularisa ce joli terme de clerc. Pour désigner les serviteurs de l’audace ; tout le contraire des laquais du pouvoir. Pour nommer les chercheurs d’une morale publique ; tout le contraire des moralisateurs. Pour appeler à la vocation de nouveaux apôtres ;  tout le contraire des savants, disait-il lui-même.

Nous confessons avoir une certaine nostalgie au souvenir de l’époque des clercs. Nous confessons aussi – et c’est l’objet de cet article – notre désir profond de lui redonner vie.
Il ne faut pas refuser, par une sorte de méfiance de principe, la fascination que certains mots peuvent imprimer sur notre imaginaire. Le clerc n’est pas le clergé, n’en déplaise aux esprits de chapelle. Il y a, dans sa brièveté de son, une sorte de retenue signifiante. Par appellation, par déterminisme linguistique, le clerc évoquera toujours une modestie d’approche qui s’accommode très bien d’une vertu sincère.

Il y a des grands serviteurs et des petits clercs. En général, les grands serviteurs rendent de petits services et les petits clercs acceptent de grandes missions. Au nom d’une certaine balance sémantique des droits et des devoirs.
Le clerc est du reste passé dans l’imaginaire collectif bien moins sous les traits d’un éditorialiste dreyfusard que comme le clerc de notaire de Courteline. Ce qui n’est pas tout à fait le même genre de théâtre …

Couverture
Le clerc a même fait mieux, dans la modestie : il s’est fondu dans une expression populaire assez désobligeante à son encontre « Il ne faut pas être grand clerc pour … ». Le fait linguistique est là : le clerc est un Petit Chose qui croit en son apostolat. Et qui, comble de zèle, l’accomplit avec conscience, lucidité et engagement.
On comprendra aisément que ce clerc soit aujourd’hui encore un modèle de rectitude, quitte à manquer d’exubérance.

Couverture


Il faut prêcher par ambition et pêcher par modestie, nous enseignent les clercs du siècle dernier. Ils furent quelques uns, dignes d’une grâce sans Dieu, rebelles aux modes humaines et capables de fulgurances personnelles à pouvoir nous éclairer.
Pour filer cette entêtante allitération, nous avons presque failli écrire : nous encercler. Puisse cette licence poétique porter son propre sens. Puisse la chaine de clercs ouvrir son cercle à de nouveaux venus. Puissent ces hussards noirs de la pensée accepter de nouveaux flancs dans leur bataillons libertaires.


C’est lorsque vient la tempête, lorsque gronde l’orage, lorsque le ciel d’obscurcit qu’il est temps de chercher la lumière.
Ou de guetter les clercs. Et leur possible foudroyance.

                                                                           

vendredi 23 septembre 2011

Roland Barthes au Sofitel


www.boutique-clubdsk.frFidèle en notre foi en l’apolitisme comme moyen d’investigation du politique, nous voudrions souligner l’étrange anagramme phonétique de l’acronyme qui a défrayé la chronique publique au cours des derniers mois.

De « DSK candidat ? » au « retour de DSK » en passant par un milliers d’autres titres de presse ou de headlines de newspapers, trois syllabes auront occupé le devant de la scène médiatique et les plis les plus étonnants de la pensée politique, à droite comme à gauche.

Trois syllabes qui peuvent s’entendre dans un ordre très différent. Un DSK, c’est aussi un KDS. Avant d’être une affaire, c’était déjà un cas. Le cas DS. Avant d’être ou non la proie de mythomanies, le cas DS était déjà une mythologie.

Ainsi lu, nous ne pouvons pas être surpris de ce que, dans son ouvrage éponyme publié en 1957, Roland Barthes donne une vision très exacte de ce cas DS, qui pourrait s’appliquer depuis quelques mois au K d’espèce. Ne la présentait-il pas déjà cette vision comme « consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique » ?

C’est du reste en cela – en cela seul croyons nous pour notre part – que réside l’effet de sidération absolue lorsque l’objet hors d’atteinte est devenu, littéralement, un sujet détenu.


Là encore, il est confondant de relire les lignes de Barthes, et d’en mesurer la proximité avec celui qui fut longtemps – pour des raisons tenant à la fois de l’ordre magique et de l’ordre logique – le favori des sondages populaires : « La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, (…). C’est pourquoi on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement »

C’est cela même qui s’est produit : pour rester à hauteur de favori, une part lisse et divine était indispensable. Descendez dans la technique, ouvrez la boite à outils des petitesses humaines, laissez découvrir dans les jointures quelques faiblesses et la déchéance des faveurs est un sortilège inévitable.

Soyons très honnête sur ce point : cette prophétie s’applique à tout personnage public. Le KDS est peut être un paroxysme, c’est aussi un archétype.

Sofitel New York1.jpgEt, vu sous cet œil d’engagement public, nous relisons avec un mélange de sourire (tant d’allusions faciles !) et de frayeur (tant de lucidité sur notre propre curiosité) la conclusion de Barthes sur son objet culte : « Dans les halls d’exposition, la voiture témoin est visitée avec une application intense, amoureuse: c’est la grande phase tactile de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l’assaut raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous les sens, au contraire de la vue, qui est le plus magique): les tôles, les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les sièges essayés, les portes caressées, les coussins pelotés; devant le volant, on mime la conduite avec tout le corps. L’objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d’heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise. »

Et si c’était précisément cela, ce qui fut pendant des mois appelé l’affaire DSK ? Et si c’était l’exact décalque du cas de la DS, décrypté par l’un des pères de la sémiologie ? Une médiatisation en un quart d’heure d’une réalité jusque là d’atteinte, une possibilité de toucher les joints pour mieux démystifier l’allure, la revanche du badaud sur le sommet.

Et si c’était cela, le KDS ? Un exorcisme collectif animé par une promotion petite-bourgeoise ?

jeudi 22 septembre 2011

Une profession de foi




Avant de commencer nos articles, nous souhaitons préciser la profession de foi qui est la promesse de ce site : notre approche sera toujours de tenter d’aborder sous un angle apolitique (qu’il soit philosophique, artistique, métaphysique ou même absurde si besoin) des questions politiques.

Ici, des point de vues. Rien à voir avec des mises au point. Ici des prises à partie, si possible éclairantes ou amusantes. Loin des épouvantails des partis pris, toujours sombres et parfois affligeants.

mardi 20 septembre 2011

Merci pour vos premières réactions

Vous êtes déjà de nombreux à m'avoir fait signe et je vous en remercie. Des petits problèmes techniques semblent rendre difficile l'adhésion à la communauté de ce forum et j'espère que cet obstacle sera bientôt surmonté.

Tout le sens de ce blog est en effet de permettre un échange citoyen, respectueux des opinions et riche de leur diversité. En un mot : retrouver le goût de la polis et de la reconnaître indissociable de son agora.
Ici pas de tribun. Juste une tribune.

Au delà de ces remerciements à ceux qui ont manifesté leur sympathie pour ce projet, je vous invite à nous rejoindre.