vendredi 23 septembre 2011

Roland Barthes au Sofitel


www.boutique-clubdsk.frFidèle en notre foi en l’apolitisme comme moyen d’investigation du politique, nous voudrions souligner l’étrange anagramme phonétique de l’acronyme qui a défrayé la chronique publique au cours des derniers mois.

De « DSK candidat ? » au « retour de DSK » en passant par un milliers d’autres titres de presse ou de headlines de newspapers, trois syllabes auront occupé le devant de la scène médiatique et les plis les plus étonnants de la pensée politique, à droite comme à gauche.

Trois syllabes qui peuvent s’entendre dans un ordre très différent. Un DSK, c’est aussi un KDS. Avant d’être une affaire, c’était déjà un cas. Le cas DS. Avant d’être ou non la proie de mythomanies, le cas DS était déjà une mythologie.

Ainsi lu, nous ne pouvons pas être surpris de ce que, dans son ouvrage éponyme publié en 1957, Roland Barthes donne une vision très exacte de ce cas DS, qui pourrait s’appliquer depuis quelques mois au K d’espèce. Ne la présentait-il pas déjà cette vision comme « consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique » ?

C’est du reste en cela – en cela seul croyons nous pour notre part – que réside l’effet de sidération absolue lorsque l’objet hors d’atteinte est devenu, littéralement, un sujet détenu.


Là encore, il est confondant de relire les lignes de Barthes, et d’en mesurer la proximité avec celui qui fut longtemps – pour des raisons tenant à la fois de l’ordre magique et de l’ordre logique – le favori des sondages populaires : « La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, (…). C’est pourquoi on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement »

C’est cela même qui s’est produit : pour rester à hauteur de favori, une part lisse et divine était indispensable. Descendez dans la technique, ouvrez la boite à outils des petitesses humaines, laissez découvrir dans les jointures quelques faiblesses et la déchéance des faveurs est un sortilège inévitable.

Soyons très honnête sur ce point : cette prophétie s’applique à tout personnage public. Le KDS est peut être un paroxysme, c’est aussi un archétype.

Sofitel New York1.jpgEt, vu sous cet œil d’engagement public, nous relisons avec un mélange de sourire (tant d’allusions faciles !) et de frayeur (tant de lucidité sur notre propre curiosité) la conclusion de Barthes sur son objet culte : « Dans les halls d’exposition, la voiture témoin est visitée avec une application intense, amoureuse: c’est la grande phase tactile de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l’assaut raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous les sens, au contraire de la vue, qui est le plus magique): les tôles, les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les sièges essayés, les portes caressées, les coussins pelotés; devant le volant, on mime la conduite avec tout le corps. L’objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d’heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise. »

Et si c’était précisément cela, ce qui fut pendant des mois appelé l’affaire DSK ? Et si c’était l’exact décalque du cas de la DS, décrypté par l’un des pères de la sémiologie ? Une médiatisation en un quart d’heure d’une réalité jusque là d’atteinte, une possibilité de toucher les joints pour mieux démystifier l’allure, la revanche du badaud sur le sommet.

Et si c’était cela, le KDS ? Un exorcisme collectif animé par une promotion petite-bourgeoise ?

2 commentaires:

  1. Une pensée en passant : dans l'esprit et le texte de Barthes, la DS était nécessairement une Déesse. Et la "bagnole", la "voiture", la "tire", par déterminisme sémantique, un objet féminin.

    Si l'on suit cet article assez étonnant sur le "KDS", que faut-il en penser ? Que la DS peut maintenant être phallique ? Que la DS n'est plus aussi con-substantiellement déesse, mais qu'elle a le droit d'être aussi dieu ou demi-dieu ? Et que, dans le royaume des lisses fascinations, l'homme également peut également être une divinité ? Ce qui masculinise singulièrement le divin et fait de sa chute une émasculation symbolique majeure.

    Et si, au prix d'un paradoxe ahurissant, l'affaire DSK avait aussi un peu avoué cela ? Et si le KDS était un cadastre sordide, dans ses modalités, de l'avancée de la géographie égalitariste entre hommes et femmes ?

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  2. OK, idée à reprendre dans un prochain article. L'idée d'un paradoxe sexiste est une grenaille dégoupillée, mais il peut être intéressant de jongler avec.

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