samedi 5 novembre 2011

Un clerc au pré, ou le clerc des champs



Depuis le lancement de ce blog, nous n’avons cessé de plaider pour la réhabilitation du terme de « clerc », tombé en désuétude avec la multiplication médiatique des intellectuels, dont l’engagement – pour sincère qu’il puisse souvent être – s’assombrit du soupçon égotique d’un narcissisme effervescent. Le clerc, nous ne croyons profondément, porte, dans son titre même, un mélange de modestie et de clarté sans lequel toute lumière prend le risque d’être fumigène urticant.

Depuis le début également –  nous nous permettrons de renvoyer à cet effet à nos divers articles de septembre/octobre 2011 et de n’y point trop revenir pour ne pas lasser le lecteur – nous  tentons également de redonner son actualité à Julien Benda qui, non le premier mais sans doute le l’un des plus convaincus, a su défendre avec noblesse une certaine idée du clerc et dénoncer la trahison de certains de ses pairs, égarés par la politique ou la technique. Qui sont toutes deux une sorte de Foi, laïque mais dévorante.

Redisons le une fois encore : il est dans le rôle du clerc d’être un gardien de phare, un poste fixe, un repère au dessus de la tempête ; pas d’aller braver les flots, au risque de l’égarement, même animé de bonnes intentions, en s’embarquant sur les navires de sauvetage. Benda ne disait pas autre chose en disant : « nous devons être des apôtres, tous le contraire des savants ».

On se demandera, sur ces prémices, s’il existe encore des clercs. Nous avons déjà dit qu’à notre sens, les questions environnementales appelaient de leur essence des prophètes dignes de la tradition des clercs. Ce qui n’est pas dévaluer le combat des écologistes de terrain ou des militants de tout horizon politique (étant rappelé, pour mémoire, que le vert peut parfois se teinter, sur la gamme chromatique des engagements référencés, de rouge vif, de rose pale, de bleu chardon ou même de brun obscur).

Mais, nous le pensons profondément, l’éclairage du débat doit venir de d’une précision cléricale sans faille ni affiliation partisane. Une vocation cléricale qui soit d’inspiration et non de chapelle.

A ce titre, grâce doit être rendu à Serge Orru, après quelques autres, d’avoir cédé un peu de ses spots-lights quotidiens (Directeur Général du WWF France, il n’est pas le moins sous-exposé des acteurs environnementaux …), pour consacrer sans tambour ni trompette un ouvrage  à un homme de l’ombre. A un éclair de lucidité. A un clerc  qui aura poussé le respect de sa vocation jusqu’à rester presque inconnu du grand public.

Pierre Rabhi est cet homme là. Un clerc dont les sermons athées seront un jour catéchisme d’une humanité avide de se survivre, si tant est qu’elle en eu  ait la lucidité en temps utile. 


Un petit fils en ligne directe de Julien Benda, proférant cette maxime qui aurait très bien pu être de ce dernier : « toutes les occasions de nous mettre en cohérence sont bonnes à saisir ». Un descendant spirituel d’un Bossuet ayant fait relire son prêche par Morin : « le temps semble venu d’instaurer une politique de civilisation fondée sur la puissance de la sobriété ».

Pour ce concept seul, cette réconciliation de ces deux notions si violemment contraires aujourd’hui, la puissance et sa sobriété, le geste clérical mériterait à lui seul de graver son nom au  Wall of Fame des prophètes inconnus.

Né Rabbah Rabhi le Saharien, devenu Pierre Rabhi l’Ardéchois. Le déraciné, défenseur de la terre. Connaisseur de la terre. Travailleur de la terre, façon Hugo. Un clerc venu de loin. Un clerc de près. Un clerc des près. Encore un porte-étendard de la proximité,  protesteront certains ? Oui, mais avec une nuance de taille. Que ceux qui comprennent la différence entre vocation et reconversion veuillent bien nous entendre …

Pirerre Rabhi ? Après le pré aux clercs, voici le clerc de prés. Des vrais prés. Pas des campagnes, que celles-ci soient promotionnelles, politiques ou de villégiature. Un clerc des champs. Un chanteur hésitant entre raison et oraison.

Pierre Rabhi Le fertile C’est à lui qu’un ouvrage récent de Serge Orru, au titre littéralement fécond et naturel (« Pierre Rabhi, le fertile »), redonne la voix et met le propos en perspective. 


Pour la voix, au sens très propre du mot, les éditions « Textuel » permettent de réécouter diverses archives sonores. Pour ceux qui auraient un vague regret de ne pas avoir accès aux enregistrements d’Abraham, cela peut en tenir lieu. Pour la mise perspective, ce bref opus (moins d’une centaine de pages) permet d’aller directement au cœur de l’ouvre intellectuelle de Pierre Rabhi, que n’épuise pas la dizaine de titres publiés de sa main depuis 1983.

C’est là le principal mérite de ce livre dédié  - d’une dévote lucidité mais d’une alacrité peu bigote - à un autre: donner à entendre et communiquer l’envie de lire le reste. Résumer sans trahir, évoquer sans simplifier, citer sans tronquer, trancher sans trahir..

En pensera notamment au superbe chapitre intitulé « la soutenable légèreté de l’homme sobre », où le Commandeur Kundera est en réalité convoqué pour un peu plus qu’un jeu de mot.

Il y a urgence à lire ce livre. Comme urgence à (re)découvrir Pierre Rabhi. Sans se bercer d’illusion ; Benda a rêvé de paix européenne dans les années 1930 et n’a été audible qu’après la catastrophe de 1939-1945.

C’est sans doute là, l’enjeu, pour ceux qui veulent redonner corps aux clercs et cœur à leurs ouvrages. Il fait leur permettent d’éclairer nos jours avant que la tombée de la nuit ne les rendent indispensables. Sur ce point, à tout seigneur, tout honneur, le mot de la fin reviendra à Pierre Rabhi lui-même : «Aujourd’hui, il y a pléthore de théories et déficit de réalisations ».

Comment mieux dire que le clerc est bien là et qu’il est temps de regarder le flambeau qu’il lève vers le ciel, depuis cette sulpicienne terre des hommes et cette mer en sourde tempête ? L’heure est venue, pour les laïcs, de jeter à temps un œil vers le phare. 

Il n’est que temps : le faisceau se rapproche, les roches affleurent et les abysses sont aux aguets. 

Eux.

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