lundi 26 septembre 2011

Pourquoi les clercs par temps de tempête ?


Quitte à être apolitiques, soyons-le sans ambages et libres de toute hypocrisie. Nombre d’accrédités agacent à crédit le plus grand nombre. Leurs grands maux sont des gros mots et leurs petites phrases de mesquines pensées. Le populisme, qu’ils combattent souvent avec plus de raison que de clarté, est un miroir tendu en retour à leur hautaine vulgarité.
Les bobos nous bobardent. Les poseurs nous barbent. Les bardes nous rébarbent. Les clercs, eux, nous éclairent.

C’est un terme étrangement tombé en désuétude, que de « clerc ». Un terme qui, dans ses entrelacs et à bas bruits, sonne juste. Au sens propre, un mot qui sonne clair. Un terme qui rafraîchit.
La bouche de qui le prononce comme la mémoire de qui le reçoit.

CouvertureL’affaire est bien connue. Elle fit date, avant de commencer à dater ceux qui s’en souviendraient. Dans ce que l’usage à ce jour encore consiste à appeler « l’entre deux guerres » (comme si 14-18 devait véritablement être la première et 1945 sonner la fin de toute guerre), Julien Benda avait publié son pamphlet sur La trahison des clercs.
Avec un sens assez sûr de la provocation, moins d’un quart de siècle après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il traçait une autre ligne de partage entre d’un côté les laïcs, responsables du politique et détenteurs légitimes de fonctions temporelles, et de l’autre les clercs, en charge des questions morales et éclaireurs des consciences.

Nous y insistons : il fallait une sacrée dose d’audace pour oser à ce point ré-enchanter la pensée et donner à la réflexion un rôle spirituel, à l’heure où – nous étions à une petite génération de la loi de 1905 – le sabre et le goupillon venaient tout juste d’accepter leur divorce, après plus d’un siècle de procédure à la française.
Le philosophe, substitut de l’homme d’Eglise et libre de tout devoir envers le pouvoir ? C’était assez piquant.

Ce fut du reste la marque de fabrique assez constante de Benda, qui, tant qu’il put rester lucide, offrit plume pointue, histoire de tenir le sabre en respect, et présenta esprit rebelle à ne pas entrer dans les ordres.
Ce fut lui qui, ce faisant, popularisa ce joli terme de clerc. Pour désigner les serviteurs de l’audace ; tout le contraire des laquais du pouvoir. Pour nommer les chercheurs d’une morale publique ; tout le contraire des moralisateurs. Pour appeler à la vocation de nouveaux apôtres ;  tout le contraire des savants, disait-il lui-même.

Nous confessons avoir une certaine nostalgie au souvenir de l’époque des clercs. Nous confessons aussi – et c’est l’objet de cet article – notre désir profond de lui redonner vie.
Il ne faut pas refuser, par une sorte de méfiance de principe, la fascination que certains mots peuvent imprimer sur notre imaginaire. Le clerc n’est pas le clergé, n’en déplaise aux esprits de chapelle. Il y a, dans sa brièveté de son, une sorte de retenue signifiante. Par appellation, par déterminisme linguistique, le clerc évoquera toujours une modestie d’approche qui s’accommode très bien d’une vertu sincère.

Il y a des grands serviteurs et des petits clercs. En général, les grands serviteurs rendent de petits services et les petits clercs acceptent de grandes missions. Au nom d’une certaine balance sémantique des droits et des devoirs.
Le clerc est du reste passé dans l’imaginaire collectif bien moins sous les traits d’un éditorialiste dreyfusard que comme le clerc de notaire de Courteline. Ce qui n’est pas tout à fait le même genre de théâtre …

Couverture
Le clerc a même fait mieux, dans la modestie : il s’est fondu dans une expression populaire assez désobligeante à son encontre « Il ne faut pas être grand clerc pour … ». Le fait linguistique est là : le clerc est un Petit Chose qui croit en son apostolat. Et qui, comble de zèle, l’accomplit avec conscience, lucidité et engagement.
On comprendra aisément que ce clerc soit aujourd’hui encore un modèle de rectitude, quitte à manquer d’exubérance.

Couverture


Il faut prêcher par ambition et pêcher par modestie, nous enseignent les clercs du siècle dernier. Ils furent quelques uns, dignes d’une grâce sans Dieu, rebelles aux modes humaines et capables de fulgurances personnelles à pouvoir nous éclairer.
Pour filer cette entêtante allitération, nous avons presque failli écrire : nous encercler. Puisse cette licence poétique porter son propre sens. Puisse la chaine de clercs ouvrir son cercle à de nouveaux venus. Puissent ces hussards noirs de la pensée accepter de nouveaux flancs dans leur bataillons libertaires.


C’est lorsque vient la tempête, lorsque gronde l’orage, lorsque le ciel d’obscurcit qu’il est temps de chercher la lumière.
Ou de guetter les clercs. Et leur possible foudroyance.

                                                                           

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire