mardi 1 novembre 2011

Quai des bulles ? Les bulles s'emballent


Le deuxième festival de bande dessinée de France (en termes de taille et de fréquentation)  vient de s’achever ce dimanche. Depuis une trentaine d’années, il accoste ses planches le long des docks malouins d’où sont partis maints cousins, frère ou rivaux de la Licorne, chère désormais à d’autres supports en trois dimensions (voir la sorte d'étrange "Indiana Dupont" qui sort actuellement sur grand écran).
L édition 2011 du « Quai des Bulles » vient donc de s’achever, le 30 octobre 2011. Avec un palmarès qui n’intéresse pas grand monde, ce qui nous dispensera de le donner. Si le but est dans le chemin, comme disait Heidegger (sorte pour sa part d’amateur de raccourcis autant que d'égarements), à coup sûr l’objectif ici était dans le trait. Et dans le trait seul.

Tracer une voie qui soit propre. S’inscrire dans une tradition dont, soyons francs, Botticelli, de Vinci et le Greco n’auraient pas reniée la filiation d’audaces , la finesse de recherche esthétique ou la discrète technique. Tenter de souffler dans l’air de l’imagination une bulle qui ne ressemble à aucune autre et qui refuse, par elle-même, d’être prise au piège de cette comparaison, voilà quel était le véritable enjeu de cette réunion qui était tout sauf un jeu d’enfants.

Après tout, bien des Festivals se passent de palmarès, par souci de respecter la pluridisciplinarité d’un même art. On n’a jamais vu de Prix de la mise en scène ou de Prix d’interprétation au  Festival d’Avignon. Encore moins dans le grand bazar qu’est son Off. Et c’est sans doute tant mieux, s i l’on en juge à l’engouement que ne cesse, après année, de susciter ce gigantesque combat de talents sans vainqueur.

Pour en revenir à notre Quai malouin, cette digression avignonnaise n’en est que plus opportune. Qu’y avait-il à voir, sur place ? Une sorte de long quai couvert (les bretons savent ce qu’octobre veut dire …) sous lequel de minuscules  maisons d’éditions avaient pris un anneau et d’autres mastodontes réservé un pont privé.

Il en ressortait un mélange joyeusement foutraque, un désordre arrangé, une confusion salutaire entre des genres d’arts graphiques totalement étrangers les uns aux autres, et pourtant familiers entre eux. Un stand d’héroïc fantasy côtoyait des bandes dessinées pour enfants, un dessinateur historique de l’Echo des Savanne de la grande époque était assis aux côtés d’un novice plutôt porté sur les mangas.

Tous étaient différents. Et tous se ressemblaient. Les héros de la bulle étaient enfants de la balle. Et cette balle était un joyeux courant saltimbanque en train de se revendiquer comme art à part entière.

Le blog de Quai des Bulles 2011Car, et c’est là où nous sous souhaitons en venir, il n’y avait guère de doute à regarder  cette  assemblée d’auteurs, de dessinateurs, de petits producteurs et de grands moniteurs. Il n’y avait guère de doute à regarder cette foule où, fidèles aux consignes d’âge d’Hergé, des spécimens humains de 7 à 77 ans déambulaient de conserve.

Des spécimens plus humains peut-être que tant d’autres croisés en ville : leur regard brillait d’une lumière que seul l’art sait faire naître. Cette lumière où l’enfant de 7 ans se sent entrer dans le monde des adultes. Cette lumière où le vieillard de 77 ans se sent capable de retomber en enfance.

Oui, c’est là où nous voulions en venir : à observer ce quai d’où partirent tant d’autres aventures,  il n’y avait plus de doute possible : la bande dessinée est aujourd’hui  un art complet , riche de ses diversités, vivant de ses contradictions, d’une énergie incroyable et d’une intelligence sans cesse en questionnement (la forme parodique, si présente dans l’univers BD n’étant pas la moindre des formes d’auto-interrogation et, si l’on veut bien y croire, un renouvellement spirituel du doute cartésien).

Bien sûr, on pourra nous opposer que nous sommes en trains de découvrir l’eau tiède (ce qui serait paradoxal, vu la température de l’eau dans le coin …) et qu’il y a longtemps que les neuf muses antiques ont trouvées leurs avatars contemporains : architecture, sculpture,  peinture, musique, romans et poésiearts de la scène,  cinéma, arts médiatiques, puis  pour conclure, en neuvième position : bande-dessinée. Et nous le reconnaissons bien volontiers : pour les amateurs de nomenclature, l’affaire est déjà bouclée.

Le déclic - Le déclic, L'intégrale noir & blancMais ce que nous vous dire, ici, est que cette eau supposée tiède est en plein bouillonnement. Qu’on ne peut y tremper l’âme sans se brûler au feu de son magma. Jadis forme très mineure pour gamins en apprentissage de lecture, jadis défouloir pour ados en construction, jadis refouloir pour adultes un peu hypocrites (aaaaaaaaaaaaah Manara !), jadis distraction familiale pour appréhender le monde avec gentillesse, la bande dessinée est devenue tout autre chose.

Un univers en soi, contradictoire, fulgurant, grossier, merveilleux, provocateur, rédempteur, curieux, ouvert, philosophique, brutal, abscons, étrange, lisible, visible, fuligineux, sensible. 

Un art, à part entière. Ce qui suppose qu’il se compose de tant de parts …

L’un des clercs de ce siècle, Pierre Rabhi (sur lequel nous reviendront dans un autre article) faisait remarquer avec humour que notre contemporanéité se composait de boites, qu’il fallait entreposer dans une logique assez désespérante. Tu bosses dans une grosse boite ? Dans une petite boite ? Tu vas en boite, ce soir ? Et pour y aller, tu prends ta caisse ?

On n’y a peut-être pas fait assez attention jusque là, mais la bande dessinée, d’emblée, a brisé cette malédiction. Elle, qui est pourtant littéralement le royaume de la case, n’emploie presque jamais ce mot. Promenez vous dans un festival comme celui auquel est consacré cet article. Vous y entendrez parler d’albums, de planches et surtout (titre oblige …) de bulles.

Comme si, à sa manière, le neuvième art était une manière, maintenant qu’il touche à sa plénitude, à répondre par la légèreté aux enjeux de ses contemporains. Comme s’ils les sortaient de leur boite.  Pour les mettre en bulles …

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