vendredi 30 septembre 2011

La dé-bendade



Certains lecteurs assidus et vigilants de ce site nous ont fait, à juste titre, le reproche de citer Julien Benda comme s’il était aussi connu qu’un Johnny Halliday, nous dispensant paresseusement d’un petit rappel historique le concernant.
Alors, bon, rendons-nous à l’évidence « La Trahison des clercs », publiée en 1927 par Gallimard, ce n’est pas « Allumer le feu » en 2007 au Stade de France.
Quoi que …

En réalité, vu avec quelques décennies de distances, la folie d’une mise en scène flamboyante pour rockers sexagénaires n’est pas plus divagante que celle qui avait poussé Benda, dans les années trente, à parler de « clercs » dans un pays tout juste devenu laïc, à engueuler ses pairs au motif de « trahison » éthique et à prétendre que le rôle du « clerc » était, précisément, de rester dans le domaine de l’analyse éthique.




A le lire, tout intellectuel qui s’engagerait (et combien s’y sont fourvoyé, dans ces années là) dans la sphère politique serait un traître, sinon à ses idées, du moins à leurs ambitions. Le clerc éclaire. Le clerc est phare. S’il s’embarque sur un bord, il se perd. Il se trahit.
C’est cela-même, la « trahison des clercs » dont Benda a fait ouvrage. Et dont l’ouvrage a fait ravage. A su allumer le feu, justement. Ce qui fut bien le mode de fonctionnement des phares pendant des siècles.

C’est ce même homme qui eut le courage de rêver d’Europe à l’aube de l’explosion des nationalismes qui lui furent contraires. En ce dernier domaine nous ne pouvons que louer la lucidité provocatrice d’un Julien Benda, dans l’un de ses livres écrit à la veille de la catastrophe national-socialiste.
C’est en 1933 qu’il publie son « Discours à la nation européenne ». Le propos de Benda est, en la matière, douloureusement clair. Conscient des effroyables dangers du nationalisme (parfois abusivement assimilé à l’idée nationale, mais nous y reviendrons dans d’autres articles), il anticipe lucidement le risque que l’Europe bascule dans une gigantesque catastrophe. Six ans avant 1939, cela avait le mérite d’une lucidité que tous les laïcs n’eurent pas.

Couverture

Restait alors, et ce fut objet de son essai, à tenter de préfigurer, dès ce moment de survenance du pire, les moyens d’en surmonter le cataclysme. Julien Benda posa le problème dès les premières pages en écrivant :
« Il paraîtra  plaisant de parler de nation européenne à l'heure où  certains peuples de l'Europe affirment leur volonté de s'accroître aux dépends de leurs voisins avec une précision que l'histoire n'avait jamais vue, où les autres s'attachent, avec une force accrue d'autant, à conserver leur être menacé, où les moins appétant, parce que les mieux repus, n'admettent pas de résigner la plus petite partie de leur souveraineté. »

Tout était dit, dès ces lignes. Des phrases qui furent les prophéties d'une Cassandre des années dites folles..
Mais qui annonçaient aussi la possibilité, au crépuscule de l’histoire, de rêver à une aube non moins folle, qu’on appellerait l’espoir de la raison.

Si être clerc, c’est être un peu fou. Si être fou, c’est jeter un coup d’œil au-delà de la vérité du moment. Si être cela, c’est être clairvoyant, alors affirmons-le : nous essaierons d’être clercs dans ce site.Un site, qui aura précisément cette volonté de ne pas dé-Bender.
Reste encore à s’interroger sur ce jeu de mots aussi leste que facile. Et à se demander pourquoi il y a eu dé-Bendade. Pourquoi le message d’un clerc aussi limpide s’est fait murmure presque inaudible.

En réalité, la perte d’aura populaire d’un Julien Benda (au contraire d’un Ernest Renan sur l’idée nationale, d’un Jean Monnet sur la construction européenne ou d’un Michel Houellebecq sur la conception sulpicienne du nombrilisme) est assez signifiante.
Tel un héros du cinéma muet qui serait un rebut du cinéma parlant (voir à ce propos le prochain film avec Jean Dujardin, the artist, qui a ému fort justement Cannes en mai dernier), Julien Benda est un peu celui qui avait du talent avant tout le monde, mais dont la voix s’est éteinte dans le vacarme d’autres pensées au timbre plus impérieux.

C’est peut-être à ce filet de son muet qu’il faut donner écho, aujourd’hui. Ceci supposera de cheminer entre une description à voix haute des enjeux politiques et une ambition éthique pour leur trouver, comme le dit un bel anglicisme, des lignes de guide.
En écrivant cela, nous mesurons l’ampleur de la tâche, l’illégitimité de quiconque à l’accomplir et la nécessité malgré tout de tenter l’aventure. Dans un univers si riche en religions, si tendu entre systèmes de valeurs, si susceptible sur les symboles, oser parler d’une « morale » serait en soi une sorte de folie.

Nous dirons plutôt que nous tenterons d’être des quêteurs de morale sans moralisme, des guetteurs d’espoirs sans naïveté. 
Et, pour Benda, des héritiers sans nostalgie.

lundi 26 septembre 2011

Pourquoi les clercs par temps de tempête ?


Quitte à être apolitiques, soyons-le sans ambages et libres de toute hypocrisie. Nombre d’accrédités agacent à crédit le plus grand nombre. Leurs grands maux sont des gros mots et leurs petites phrases de mesquines pensées. Le populisme, qu’ils combattent souvent avec plus de raison que de clarté, est un miroir tendu en retour à leur hautaine vulgarité.
Les bobos nous bobardent. Les poseurs nous barbent. Les bardes nous rébarbent. Les clercs, eux, nous éclairent.

C’est un terme étrangement tombé en désuétude, que de « clerc ». Un terme qui, dans ses entrelacs et à bas bruits, sonne juste. Au sens propre, un mot qui sonne clair. Un terme qui rafraîchit.
La bouche de qui le prononce comme la mémoire de qui le reçoit.

CouvertureL’affaire est bien connue. Elle fit date, avant de commencer à dater ceux qui s’en souviendraient. Dans ce que l’usage à ce jour encore consiste à appeler « l’entre deux guerres » (comme si 14-18 devait véritablement être la première et 1945 sonner la fin de toute guerre), Julien Benda avait publié son pamphlet sur La trahison des clercs.
Avec un sens assez sûr de la provocation, moins d’un quart de siècle après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il traçait une autre ligne de partage entre d’un côté les laïcs, responsables du politique et détenteurs légitimes de fonctions temporelles, et de l’autre les clercs, en charge des questions morales et éclaireurs des consciences.

Nous y insistons : il fallait une sacrée dose d’audace pour oser à ce point ré-enchanter la pensée et donner à la réflexion un rôle spirituel, à l’heure où – nous étions à une petite génération de la loi de 1905 – le sabre et le goupillon venaient tout juste d’accepter leur divorce, après plus d’un siècle de procédure à la française.
Le philosophe, substitut de l’homme d’Eglise et libre de tout devoir envers le pouvoir ? C’était assez piquant.

Ce fut du reste la marque de fabrique assez constante de Benda, qui, tant qu’il put rester lucide, offrit plume pointue, histoire de tenir le sabre en respect, et présenta esprit rebelle à ne pas entrer dans les ordres.
Ce fut lui qui, ce faisant, popularisa ce joli terme de clerc. Pour désigner les serviteurs de l’audace ; tout le contraire des laquais du pouvoir. Pour nommer les chercheurs d’une morale publique ; tout le contraire des moralisateurs. Pour appeler à la vocation de nouveaux apôtres ;  tout le contraire des savants, disait-il lui-même.

Nous confessons avoir une certaine nostalgie au souvenir de l’époque des clercs. Nous confessons aussi – et c’est l’objet de cet article – notre désir profond de lui redonner vie.
Il ne faut pas refuser, par une sorte de méfiance de principe, la fascination que certains mots peuvent imprimer sur notre imaginaire. Le clerc n’est pas le clergé, n’en déplaise aux esprits de chapelle. Il y a, dans sa brièveté de son, une sorte de retenue signifiante. Par appellation, par déterminisme linguistique, le clerc évoquera toujours une modestie d’approche qui s’accommode très bien d’une vertu sincère.

Il y a des grands serviteurs et des petits clercs. En général, les grands serviteurs rendent de petits services et les petits clercs acceptent de grandes missions. Au nom d’une certaine balance sémantique des droits et des devoirs.
Le clerc est du reste passé dans l’imaginaire collectif bien moins sous les traits d’un éditorialiste dreyfusard que comme le clerc de notaire de Courteline. Ce qui n’est pas tout à fait le même genre de théâtre …

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Le clerc a même fait mieux, dans la modestie : il s’est fondu dans une expression populaire assez désobligeante à son encontre « Il ne faut pas être grand clerc pour … ». Le fait linguistique est là : le clerc est un Petit Chose qui croit en son apostolat. Et qui, comble de zèle, l’accomplit avec conscience, lucidité et engagement.
On comprendra aisément que ce clerc soit aujourd’hui encore un modèle de rectitude, quitte à manquer d’exubérance.

Couverture


Il faut prêcher par ambition et pêcher par modestie, nous enseignent les clercs du siècle dernier. Ils furent quelques uns, dignes d’une grâce sans Dieu, rebelles aux modes humaines et capables de fulgurances personnelles à pouvoir nous éclairer.
Pour filer cette entêtante allitération, nous avons presque failli écrire : nous encercler. Puisse cette licence poétique porter son propre sens. Puisse la chaine de clercs ouvrir son cercle à de nouveaux venus. Puissent ces hussards noirs de la pensée accepter de nouveaux flancs dans leur bataillons libertaires.


C’est lorsque vient la tempête, lorsque gronde l’orage, lorsque le ciel d’obscurcit qu’il est temps de chercher la lumière.
Ou de guetter les clercs. Et leur possible foudroyance.

                                                                           

vendredi 23 septembre 2011

Roland Barthes au Sofitel


www.boutique-clubdsk.frFidèle en notre foi en l’apolitisme comme moyen d’investigation du politique, nous voudrions souligner l’étrange anagramme phonétique de l’acronyme qui a défrayé la chronique publique au cours des derniers mois.

De « DSK candidat ? » au « retour de DSK » en passant par un milliers d’autres titres de presse ou de headlines de newspapers, trois syllabes auront occupé le devant de la scène médiatique et les plis les plus étonnants de la pensée politique, à droite comme à gauche.

Trois syllabes qui peuvent s’entendre dans un ordre très différent. Un DSK, c’est aussi un KDS. Avant d’être une affaire, c’était déjà un cas. Le cas DS. Avant d’être ou non la proie de mythomanies, le cas DS était déjà une mythologie.

Ainsi lu, nous ne pouvons pas être surpris de ce que, dans son ouvrage éponyme publié en 1957, Roland Barthes donne une vision très exacte de ce cas DS, qui pourrait s’appliquer depuis quelques mois au K d’espèce. Ne la présentait-il pas déjà cette vision comme « consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique » ?

C’est du reste en cela – en cela seul croyons nous pour notre part – que réside l’effet de sidération absolue lorsque l’objet hors d’atteinte est devenu, littéralement, un sujet détenu.


Là encore, il est confondant de relire les lignes de Barthes, et d’en mesurer la proximité avec celui qui fut longtemps – pour des raisons tenant à la fois de l’ordre magique et de l’ordre logique – le favori des sondages populaires : « La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, (…). C’est pourquoi on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement »

C’est cela même qui s’est produit : pour rester à hauteur de favori, une part lisse et divine était indispensable. Descendez dans la technique, ouvrez la boite à outils des petitesses humaines, laissez découvrir dans les jointures quelques faiblesses et la déchéance des faveurs est un sortilège inévitable.

Soyons très honnête sur ce point : cette prophétie s’applique à tout personnage public. Le KDS est peut être un paroxysme, c’est aussi un archétype.

Sofitel New York1.jpgEt, vu sous cet œil d’engagement public, nous relisons avec un mélange de sourire (tant d’allusions faciles !) et de frayeur (tant de lucidité sur notre propre curiosité) la conclusion de Barthes sur son objet culte : « Dans les halls d’exposition, la voiture témoin est visitée avec une application intense, amoureuse: c’est la grande phase tactile de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l’assaut raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous les sens, au contraire de la vue, qui est le plus magique): les tôles, les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les sièges essayés, les portes caressées, les coussins pelotés; devant le volant, on mime la conduite avec tout le corps. L’objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d’heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise. »

Et si c’était précisément cela, ce qui fut pendant des mois appelé l’affaire DSK ? Et si c’était l’exact décalque du cas de la DS, décrypté par l’un des pères de la sémiologie ? Une médiatisation en un quart d’heure d’une réalité jusque là d’atteinte, une possibilité de toucher les joints pour mieux démystifier l’allure, la revanche du badaud sur le sommet.

Et si c’était cela, le KDS ? Un exorcisme collectif animé par une promotion petite-bourgeoise ?

jeudi 22 septembre 2011

Une profession de foi




Avant de commencer nos articles, nous souhaitons préciser la profession de foi qui est la promesse de ce site : notre approche sera toujours de tenter d’aborder sous un angle apolitique (qu’il soit philosophique, artistique, métaphysique ou même absurde si besoin) des questions politiques.

Ici, des point de vues. Rien à voir avec des mises au point. Ici des prises à partie, si possible éclairantes ou amusantes. Loin des épouvantails des partis pris, toujours sombres et parfois affligeants.

mardi 20 septembre 2011

Merci pour vos premières réactions

Vous êtes déjà de nombreux à m'avoir fait signe et je vous en remercie. Des petits problèmes techniques semblent rendre difficile l'adhésion à la communauté de ce forum et j'espère que cet obstacle sera bientôt surmonté.

Tout le sens de ce blog est en effet de permettre un échange citoyen, respectueux des opinions et riche de leur diversité. En un mot : retrouver le goût de la polis et de la reconnaître indissociable de son agora.
Ici pas de tribun. Juste une tribune.

Au delà de ces remerciements à ceux qui ont manifesté leur sympathie pour ce projet, je vous invite à nous rejoindre.