samedi 19 novembre 2011

Paris brûle-t-il (les planches ) ?




Ils reviennent sur scène et c’est justice, pour l’une des pièces qui a conclut en beauté la saison théâtrale du printemps dernier. Le match reprend entre deux poids lourds de l’Histoire et du monde du spectacle : l’ultime Gouverneur nazi de Paris, Dietrich Von Choltitz, et le discret Consul de Suède, Raoul Nordling. On comprendra : le colossal Niels Arestrup et le caressant André Dussolier.

Un match dont l’issue est connue d’emblée (Paris ne sera pas dynamitée, malgré les ordres de Berlin) mais dont le suspense est tenu jusqu’au bout (le Gouverneur, tout occupé à régler les plans de destruction, n’étant pas du genre à désobéir sans hésitation). Un match qui n’a rien d’un courtois échange de balles sur terre battue d’avance. Un match qui ressemble davantage à une mêlée de rugby en équipe réduite.

diplomatie - theatre de la madeleineOn saluera au passage l’exploit scénographique qui, avec seulement trois seconds rôles (solidement tenus par Roman Kané, Olivier Sabin et Marc Voisin), réussit à recréer l’illusion d’une place militaire en pleine activité. L’aide de camp Brensdorf, le Caporal Mayer et le Capitaine Ebernach se démènent avec l’énergie du désespoir pour entretenir autour de leur Général l’illusion d’un pouvoir encore intact. Un Von Choltitz pourtant lucide, qui se demande en soupirant si Raoul Nordling est l’émissaire de son ennemi, le notaire de sa défaite ou l’apparition de sa conscience.

C’est la loi du genre qui l’exige, lorsqu’on choisit, comme l’a fait Stephan Meldegg, deux géants du spectacle pour former un duo inédit : chacun arrive avec son bagage de personnages déjà imprimés dans la mémoire du public. Tout le talent est de se servir de ces valises, sans les trainer comme une charge. En l’espèce, l’exercice fonctionne parfaitement et sert le propos de ce duel exceptionnel entre un bourreau au bord du remords et un diplomate à l’aplomb du précipice.

Niels Arestrup est le premier à arriver, impressionnant de toute sa carcasse usée, parrain déchu du Prophète de Jacques Audiard, partenaire réputé trop brutal d’une Myriam Boyer dans Qui a peur de Virginia Woolf ou trop pressant d’une Isabelle Adjani dans Mademoiselle Julie, père excessif de Laurànt Deutsch dans le très récent Tu seras mon fils de Gilles Legrand. Un ogre, lesté de ses excès, dont on se dit d’entrée de jeu que l’anéantissement d’une ville serait assez bien dans ses cordes.

André Dussolier surgit, derrière une porte dérobée de l’hôtel Meurice. Et, dans cette entrée en scène feutrée, ce sont d’autres souvenirs qui se présentent : l’acteur subtil d’Alain Resnais, le partenaire délicat de Sabine Azéma, le père un peu largué de Tanguy, le poète lunaire de Faisons un rêve et le sportif cérébral des Athlètes dans leur tête. Un roseau pensant, léger de ses hésitations, dont on présume que la discrétion pourrait bien être une ruse victorieuse.

Le face à face est saisissant. Plusieurs décennies de mémoires théâtrales s’affrontent. Deux camps se mesurent, se mordent et se domptent. Deux styles se confrontent. Opposés. Irréconciliables. Et pourtant complices, l’espèce de deux heures. Histoire de sauver l’une des plus belles villes du monde. De laisser perler un peu d’émotion dans l’abondante sueur du boucher. Et d’offrir un spectacle inédit : la rencontre entre un monstre sacré et un monstre nacré. 

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