vendredi 9 août 2013

Tahrir, à quelle place ?


2011, 2013. La Place Tahrir est un marqueur de ce début de siècle. Contrepoint terrible des tours jumelles qui firent basculer la précédente décennie. A sa manière, la place Tahrir est une éloquente béance, pour rappeler que l’histoire du monde ne se construit pas (et ne se détruit pas non plus) de la même manière en Méditerranée. Cette Méditerranée où, pour la première fois, la place s’est fait une place.
 

 

Très tôt, la place méditerranéenne se distingue du carrefour. Elle devient un but. Non pas un endroit vide où l’on passe, mais un endroit signifiant où l’on se retrouve, se regroupe et se protège.. Autant dire que la place, en Méditerranée aura une dimension centrale, qui est le prolongement naturel de la nécessité de sécurité civile.

Caractéristique exclusivement méditerranéenne ? Après tout, de grandes villes non méridionales se structurent bien autour de vastes places. C'est exact, mais c'est oublier que le modèle méditerranéen a essaimé ses principes régulateurs et spatiaux. Et que d’autres modèles sont possibles en matière d'organisation civile. Ainsi notera-t-on que si l’Afrique a inventé l’arbre à palabres, lieu – non-nécessairement urbain – où la parole se libère, la confrontation s’organise et la mémoire se transmet. En Asie apparaît une organisation de l’espace urbain fondé sur la facilitation des flux. Les places ne sont pas des places, mais des marchés ou des temples. Sauf hasard, comme l’esplanade de Tien an Men, devant la Cité Interdite, dont la vocation première était celle d’un no man’s land défensif. Quant à l’Amérique du Nord, on reverra les images, pas si caricaturales que cela, des hameaux du Far West. Où, en repoussant au loin les frontières de l’Occident, les hommes retrouvaient des réflexes du lointain Orient : faciliter le passage, ouvrir des voies, ne pas bloquer la circulation.

 

A l’inverse de toute culture méditerranéenne. Où pas un seul hameau de nos côtes, pas un seul village sur nos îles, pas une seule communauté de notre espace ne saurait véritablement perdurer sans avoir fait place à une place.

A cette lumière, comment ne pas être frappé par les symboles qui ont jalonnés les printemps politiques successifs et qui tous, ont pris racines dans une place. Une place rendue à sa vocation populaire. Une place rendue à son origine démocratique. Une place redevenue l’image même, dans le monde entier, de l’esprit méditerranéen. Nous pensons, à ces autres places Tahrir qui ont fleuri le long de ces révolutions de jasmin, allant jusqu’à débaptiser certains noms historiques. Nous pensons au reste de la Méditerranée arabe. A la place du 1er mai en Algérie, interdite le samedi aux regroupements de plus de trois personnes depuis le 12 février 2011. A la place Gamal Abdel Nasser, en Jordanie, où le mouvement du 24 mars a élu domicile. A la place Sassine, au Liban, siège de la protestation contre le régime confessionnel Ou la place Mohammed V à Casablanca pour les indignés marocains. Sans oublier, à Damas, la place Marjé, jouxtant le ministère de l'Intérieur syrien, où les proches des détenus politiques ont entamé leur premier rassemblement, le 16 mars 2011.

 

Ces places ne sont pas encore arrivées au terme de leur destin tragique et révolutionnaire, présent depuis leur origine et renouvelé par le courage des hommes ou la force des évènements. D’autres drames attendent, dont elles seront le théâtre. D’autres héroïsmes aussi, dont elles seront témoins. Et d’autres affrontements, dont elles seront victimes.

Mais, avant même d’attendre la fin de ce moment historique qui bouleverse l’équilibre du monde, nous pouvons déjà l’affirmer : le symbole de ses ces lieux urbains ne s’effacera pas de la mémoire collective. Bien au-delà de toute frontière linguistique, Tahrir  sera le nom de la liberté pour notre siècle. Et la Méditerranée aura renoué avec sa place. Sa place irremplaçable.

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