2011, 2013. La Place Tahrir est un marqueur de ce début de siècle. Contrepoint terrible des tours jumelles qui firent basculer la précédente décennie. A sa manière, la place Tahrir est une éloquente béance, pour rappeler que l’histoire du monde ne se construit pas (et ne se détruit pas non plus) de la même manière en Méditerranée. Cette Méditerranée où, pour la première fois, la place s’est fait une place.
Très tôt, la place méditerranéenne
se distingue du carrefour. Elle devient un but. Non pas un endroit vide où l’on
passe, mais un endroit signifiant où l’on se retrouve, se regroupe et se
protège.. Autant dire que la place, en
Méditerranée aura une dimension centrale, qui est le prolongement naturel de la
nécessité de sécurité civile.
Caractéristique
exclusivement méditerranéenne ? Après tout, de grandes villes non
méridionales se structurent bien autour de vastes places. C'est exact, mais
c'est oublier que le modèle méditerranéen a essaimé ses principes régulateurs
et spatiaux. Et que d’autres modèles sont possibles en matière d'organisation civile.
Ainsi notera-t-on que si l’Afrique a inventé l’arbre à palabres, lieu –
non-nécessairement urbain – où la parole se libère, la confrontation s’organise
et la mémoire se transmet. En Asie apparaît une organisation de l’espace urbain
fondé sur la facilitation des flux. Les places ne sont pas des places, mais des
marchés ou des temples. Sauf hasard, comme l’esplanade de Tien an Men, devant
la Cité Interdite, dont la vocation première était celle d’un no man’s land
défensif. Quant à l’Amérique du Nord, on reverra les images, pas si
caricaturales que cela, des hameaux du Far West. Où, en repoussant au loin les
frontières de l’Occident, les hommes retrouvaient des réflexes du lointain
Orient : faciliter le passage, ouvrir des voies, ne pas bloquer la
circulation.
A l’inverse de toute culture
méditerranéenne. Où pas un seul hameau de nos côtes, pas un seul village sur
nos îles, pas une seule communauté de notre espace ne saurait véritablement
perdurer sans avoir fait place à une place.
A cette lumière, comment ne
pas être frappé par les symboles qui ont jalonnés les printemps politiques
successifs et qui tous, ont pris racines dans une place. Une place rendue à sa
vocation populaire. Une place rendue à son origine démocratique. Une place
redevenue l’image même, dans le monde entier, de l’esprit méditerranéen. Nous
pensons, à ces autres places Tahrir qui ont fleuri le long de ces révolutions
de jasmin, allant jusqu’à débaptiser certains noms historiques. Nous pensons au
reste de la Méditerranée arabe. A la place du 1er mai en Algérie,
interdite le samedi aux regroupements de plus de trois personnes depuis le 12
février 2011. A la place Gamal Abdel Nasser, en Jordanie, où le mouvement du 24
mars a élu domicile. A la place Sassine, au Liban, siège de la protestation contre
le régime confessionnel Ou la place Mohammed V à Casablanca pour les indignés
marocains. Sans oublier, à Damas, la place Marjé, jouxtant le ministère de
l'Intérieur syrien, où les proches des détenus politiques ont entamé leur
premier rassemblement, le 16 mars 2011.
Ces places ne sont pas
encore arrivées au terme de leur destin tragique et révolutionnaire, présent
depuis leur origine et renouvelé par le courage des hommes ou la force des
évènements. D’autres drames attendent, dont elles seront le théâtre. D’autres
héroïsmes aussi, dont elles seront témoins. Et d’autres affrontements, dont
elles seront victimes.
Mais, avant même d’attendre
la fin de ce moment historique qui bouleverse l’équilibre du monde, nous
pouvons déjà l’affirmer : le symbole de ses ces lieux urbains ne
s’effacera pas de la mémoire collective. Bien au-delà de toute frontière
linguistique, Tahrir sera le nom de la liberté pour notre siècle.
Et la Méditerranée aura renoué avec sa place. Sa place irremplaçable.
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